Opale ; handle with care

Il faisait froid. La pluie sale qui tombait sans discontinuer s’infiltrait partout, coulant sous les vêtements, envoyant des frissons désagréables le long de ses membres. Ses cheveux étaient plaqués sur son visage et elle ne cessait de les repousser de devant ses yeux, excédée. Elle avait prit un soin tout particulier à se coiffer, ce matin, tout comme elle s’était délicatement maquillée. Des détails futiles, certes, mais qui avaient comptés à ses yeux. Des efforts complètement ruinés alors qu’elle traversait avec tous ses camarades l’immense cour qui les séparaient d’un gigantesque bâtiment gris sombre. La pluie ne permettait pas à ses yeux de voir beaucoup plus loin, et elle ne distinguait aucun paysage au-deçà de la bâtisse. Pourtant, elle écarquillait les yeux pour se rassasier de ce qu’elle voyait, comme tous ceux qui étaient à ses côtés. A la différence près qu’elle ne portait pas le même air d’émerveillement idiot …
Elle fut la troisième à entrer dans le grand bâtiment, juste après October et l’homme en noir qui les guidait. Elle dut faire d’énormes efforts pour garder un air à peu près digne et ne pas dévisager tous les gens qui les attendaient dans le hall. Elle n’avait jamais vu autant d’adultes rassemblés dans la même pièce, ni autant d’étrangers. D’aussi loin que remontent ses souvenirs, elle n’avait jamais connu que les même visages, toujours.

Elle était arrivée à Stonewall à 7 ans. Son premier souvenir était celui d’une voix forte et sèche, une femme en blouse banche qui lui ordonnait de rester tranquille dans la chambre qu’on lui avait assignée. Elle avait obéi, bien sûr, et au fil du temps la femme s’était adoucie. Sa tutrice était une femme admirable, une scientifique de longue date, et elle l’avait toujours admirée. Pour voir ses sourires satisfaits, elle avait fait de son mieux et s’était hissée aux premières places, toujours. Elle avait fait partie de l’Elite des élèves de Stonewall, avait été la préférée de bon nombre de professeurs et de scientifiques.
Mais c’était Stonewall. Elle y était heureuse, sans doute. Elle y avait des amis inestimables, elle s’épanouissait totalement et faisait partie d’une minorité de privilégiés. Mais elle n’avait jamais mis les pieds en dehors de l’île. Elle ne se souvenait pas d’un monde au-dehors, bien que les manuels d’histoire et les romans lui apprenaient tout ce qu’il fallait savoir du monde réel. Les professeurs, les élèves, elle les connaissait tous, et tous la connaissaient. La plupart l’admiraient, certains l’aimaient. Elle avait veillé à ce que personne n’ait de raisons de vraiment la détester, et personne ne lui refusait jamais rien. Contrairement à ses deux meilleures amies, elle n’avait pas besoin de terroriser pour régner. Et les années étaient passées sans qu’elle ne pense que les choses puissent changer. Elle se voyait devenir scientifique, elle ne voulait pas quitter Stonewall. Elle savait, vaguement, ce qu’il se passait à l’extérieur. Et elle ne voulait pas y participer. Mais on avait décidé pour elle, et on avait décidé autrement. Avec tous les élèves de sa promotion, elle avait quitté son île tant chérie.

Et les voilà, sortis pour la première fois de leur vie d’une île qui était toute leur vie. Opale savait qu’elle allait retrouver les souvenirs de son enfance qu’on lui avait effacés à son entrée à Stonewall, et elle ne savait pas ce qu’elle devait en penser. Elle avait peur. Peur de ce qu’elle allait découvrir, des vérités qui allaient éclater. Mais elle sentait l’excitation monter en elle à mesure qu’ils pénétraient dans les bâtiments, marchant à travers de longs couloirs impersonnels. Sa vie allait prendre une toute nouvelle tournure, à présent …
Les heures passaient dans ce grand bâtiment. Un homme en blouse blanche était finalement venu la chercher, et ils étaient entrés tous les deux dans une pièce ressemblant aux cellules de détention de Stonewall. L’homme avait posé des électrodes sur son front, sur son crâne, et sur sa poitrine. Et les souvenirs avaient afflué, comme un livre d’image défilant à toute vitesse dans son esprit …

Elle s’était attendue à une famille, à du bonheur. Mais son passé était bien différent. L’orphelinat. Des nourrices aux uniformes gris ternes, des visages souriants mais des yeux sans émotions. Des enfants qui pleuraient, des enfants qui hurlaient, des enfants qui riaient. Pas de conscience personnelle, seulement l’idée d’appartenir à un tout, à un ensemble. Il y avait ces enfants, et il y avait elle, au milieu. Les jours s’étalaient sans fin, tous semblables, tous insignifiants. Elle ne se démarquait pas, du moins elle ne s’en rendait pas compte. Mais elle était supérieure aux autres. Plus intelligente, plus habile. Et plus dangereuse, aussi. Les autres enfants jouaient avec elle mais ils se méfiaient constamment. Car quand ses colères éclataient, la souriante petite fille devenait d’une violence extrême. Les souvenirs de ces passages étaient différents des autres, comme si elle regardait ceux d’une autre personne. Elle se voyait de l’extérieur, et pouvait voir son visage prendre des masques tantôt haineux, tantôt sadiques. C’était la seule chose qu’elle ne comprenait pas dans ces souvenirs d’enfance. Le reste se fondait dans une masse inintéressante qu’elle négligea rapidement. Elle n’avait jamais été portée sur la violence, durant toutes ses années à Stonewall … D’un naturel calme, elle haussait rarement le ton et préférait résoudre ses problèmes en usant de psychologie.

Quand elle ressorti de la salle, Opale ne se sentait pas différente de quand elle y était entrée. Autour d’elle, des élèves avaient des airs hébétés, d’autres semblaient furieux. Mais elle, abordait un sourire serein. Retrouver ses souvenirs ne l’avait en aucun cas détournée de ses objectifs premiers. Stonewall ne l’avait pas enlevée à ses parents, elle n’avait ni frères, ni sœurs. Ce qu’elle possédait, c’était Stonewall qui les lui avait offerts : Adriel, son meilleur ami et frère de cœur, October et Hazel, ses deux inséparables amies, et tous les autres élèves avec qui elle s’entendait plus ou moins bien. Et contrairement à ses camarades autour d’elle, elle savait parfaitement ce qu’elle allait faire, maintenant qu’elle savait absolument tout de sa vie.

Permanence du dimanche soir. Le meilleur jour de la semaine. Opale adorait les dimanches soir, surtout quand elle devait rester travailler au WHS-L. Les lieux étaient vidés de leurs occupants, et elle pouvait travailler comme elle voulait sans que personne ne vienne la déranger. Le pied ! Les rares membres de l’Organisation de permanence en même temps qu’elle étaient soit trop frustrés de gâcher leur dimanche pour sortir de leur bureau, soit d’aussi bonne humeur qu’elle, et passaient échanger quelques bavardages autour d’un café quand le silence se faisait trop oppressant. Pour elle, le silence n’était jamais un problème. Son casque vissé sur les oreilles, elle faisait tourner ses albums favoris à plein volume et entendait à peine le monde tourner autour d’elle. Elle ne pouvait pas travailler sans sa musique, et ses supérieurs s’en étaient rapidement accommodés : elle était d’une efficacité imparable quand on la laissait décider de ses propres conditions. Et elle ne gênait vraiment personne … Mais les dimanches soirs, elle pouvait même se permettre de chantonner à son aise, la tête remuant au rythme des chansons qu’elle écoutait. Elle était alors dans les meilleures conditions possibles pour travailler, et ses doigts virevoltaient sur son clavier sans discontinuer.

Devenue Inquisitrice dès son entrée au WHS-L, Opale aimait passionnément son travail. Elle était chargée de traquer les Witches à travers le monde, et il s’était avéré qu’elle était extrêmement douée pour ça … Grâce à internet. Devenue une des meilleurs hackers du pays, elle prenait un plaisir particulier à chasser les Witches grâce aux traces qu’ils laissaient sur la toile. Contrairement à ses collègues, elle travaillait très peu sur le terrain. Elle aimait toujours aussi peu la violence, et elle participait très peu aux interrogatoires des Witches. Elle préférait la tranquillité de son ordinateur, la douce satisfaction qu’elle ressentait en désactivant les derniers obstacles qui l’empêchaient de se connecter aux ordinateurs de ses proies …

Ce dimanche soir ne différait pas des autres. Les yeux rivés à ses deux écrans, les sourcils légèrement froncés en un signe de concentration intense, Opale s’attaquait au pare-feu d’un site qui semblait receler par mal d’informations sur des Witches basées dans le sud de l’Irlande. Au son d’un rock entraînant, elle désactivait avec facilité chacun des obstacles qui lui barraient la route, et atteignit rapidement son but. Satisfaite, elle leva les bras au-dessus de sa tête et s’étira sans aucune retenue, avant de jeter un coup d’œil à son portable, mais le reposa rapidement en constatant qu’Adriel ne lui avait pas répondu.

Deux bonnes heures plus tôt, elle lui avait proposé de la rejoindre pour discuter un moment quand il aurait terminé le dossier urgent qu’il avait à terminer. Inquisiteur comme elle, il n’était pas de permanence ce soir, mais il était venu au WHS-L pour avoir tous ses documents sous la main. Elle savait qu’il valait mieux ne pas aller le voir tant qu’il ne sortait pas de son plein gré : il perdait si facilement sa concentration qu’il ne risquait pas de terminer son travail si elle venait le déranger ! Mais deux heures … Lui fallait-il réellement autant de temps pour terminer ? Aux dernières nouvelles, il avait presque terminé …
Opale sauvegarda toutes les pages du site Witch qu’elle avait piraté sur son ordinateur avant d’y jeter un virus qui détruirait en quelques heures le site internet et le serveur sur lequel il était stocké. Demain matin, un duo de Hunters se rendrait aux logements des Witches potentielles … Opale n’avait plus qu’à les localiser, ce qui serait un jeu d’enfant. Ca pouvait bien attendre quelques dizaines de minutes !
Elle quitta le box qui constituait son bureau, et constata sans surprise qu’elle était seule dans la grande salle des Inquisiteurs. Adriel était descendu travailler dans le Saint des Saints, les archives de l’Organisation … Ils étaient peu à y avoir accès, et elle-même y mettait très rarement les pieds, bien qu’Adriel adorait y passer des heures. Elle descendit les escaliers quatre à quatre, comme à son habitude, tellement certaine de ne rencontrer personne qu’elle préférait fixer ses pieds plutôt que devant elle … Et faillit rentrer dans Haniel Harlow. Elle marmonna une excuse mais se tut en voyant son visage pâle comme la mort et sa mâchoire serrée.

« Haniel ? Ca ne va pas ? »
Elle n’était pas vraiment amie avec lui, mais elle le connaissait depuis très longtemps, et était plutôt proche de son frère, Samaël. Ce qui suffisait pour qu’elle s’inquiète pour lui.
Il mit quelques secondes avant de lui répondre, comme s’il était plongé dans des pensées trop profondes pour arriver à en sortir aisément.
« Lilith est morte. » Répondit-il finalement d’une voix froide.
Opale écarquilla les yeux, choquée par une telle révélation. Elle mit un certain temps avant de comprendre ce que cela signifiait.
« Oh mon dieu … Je suis désolée Haniel, je … »
Elle fut coupée par le regard d’Haniel, qui la transperça de part en part comme si elle avait été faite de papier. Elle resta sans voix devant une telle réaction, totalement différente de ce qu’elle attendait de la part de quelqu’un qui vient de perdre sa petite amie. Il semblait furieux …
« Cinquième étage. Salle de détention. Je veux savoir qui. » Assena-t-il d’un ton sans appel.
Opale ne put qu’acquiescer avant qu’il ne se remette à marcher d’un pas vif vers les étages inférieurs. La jeune femme le regarda s’éloigner, un peu hébétée. Qui, quoi, comment ? Des questions sans réponses tournaient dans sa tête tandis qu’elle gravissait les escaliers à grands pas, tout droit vers la salle de détention du cinquième étage. Elle devait mettre de l’ordre dans ses pensées. Lilith était morte. Elle n’était plus envoyée en mission depuis plusieurs semaines, considérée comme instable par leurs supérieurs. Et si elle était morte ici, dans une des salles où on enfermait les Witches pour les interroger, c’était que leurs supérieurs avaient finalement décrété qu’elle était dangereuse … Elle avait été enfermée. Sans doute interrogée. Mais tuée ? Alors que quelques mois plus tôt, elle faisait partie des meilleurs éléments de l’Organisation ? Même les Witches les plus dangereuses qu’ils avaient enfermées ici n’avaient pas été abattus de cette façon. L’Inquisiteur chargé de son interrogatoire ou le Hunter qui l’avait enfermé devait avoir une bonne raison … Qu’elle n’allait pas tarder à découvrir.

Elle arriva finalement au cinquième étage, et courut jusqu’à la porte de la salle de détention. Le couloir était désert, et un silence de mort régnait autour d’elle. La porte était soigneusement refermée, et elle hésita une seconde avant de poser sa main sur la poignée. Elle ne tenait pas spécialement à contempler le cadavre de Lilith, mais c’était son travail, même si c’était le côté moins agréable … Pourtant, quand elle poussa la porte, ce n’est pas le cadavre de Lilith qu’elle dévisagea. Il y avait effectivement un corps, allongé sur le sol dans une posture tellement crispée que sa mort avait du être particulièrement violente. Le corps d’un homme … Son visage était tourné vers le sol, et une large tache de sang faisait comme une auréole autour de ses cheveux sombres et bouclés.
Un violent haut le corps secoua Opale et elle se mit à hurler.

Le corps de la jeune fille se mit à vibrer violemment au son de son hurlement puis se scinda en deux. L’une d’elle tomba à genoux et agrippa en sanglotant le corps sans vie d’Adriel, tandis que l’autre s’élança à travers les murs, les pénétrant comme s’ils avaient été fait de fumée. La douleur et la colère ne pouvaient plus cohabiter dans le même être, à présent. Déchiré pendant un instant par la souffrance de contempler la mort de son meilleur ami et par le besoin impérieux de trouver le nom des coupables, son esprit s’était divisé, utilisant les pouvoirs qu’elle renfermait en elle depuis si longtemps, et qu’elle utilisait si peu souvent. Elle pouvait projeter un double d’elle-même en dehors de son propre corps, une copie intangible mais néanmoins bien plus puissante que l’originale. Un pouvoir qu’elle craignait, car ses émotions se retrouvaient alors scindées en deux et sa projection était bien souvent le réservoir de ses pulsions les plus destructrices … Mais ce soir plus que jamais, elle avait besoin de sentir cette ivresse incontrôlable, cette sensation si sécurisante de savoir que quelqu’un, pour elle, accomplirait le sale boulot.
Sans vraiment s’en rendre compte, elle murmurait le prénom du jeune homme en se balançant doucement d’avant en arrière, son corps encore tiède entre les bras. Elle le serrait contre lui, ne pouvant se résoudre à la laisser partir physiquement, alors qu’il n’était déjà plus là … Mais alors qu’elle se laissait plonger dans le désespoir, son autre courait à travers le bâtiment, les poings serrés, son visage d’habitude si doux transformé en un masque de fureur pure. Un coup de poing rageur dans l’alarme envoya des rayons de lumière rouges dans toute l’Organisation et une alerte continue se mit à résonner, signifiant clairement la gravité de la situation à toute personne présente dans le WHS-L. Mais Opale n’en avait cure. Elle recherchait la coupable, qui ne se trouvait nulle part. A une vitesse incroyable, elle sonda chacune des pièces du bâtiment, hurlant le nom de Lilith, puis celui d’Haniel, sans réponse. Elle dut finalement se résoudre à reconnaître qu’ils devaient avoir tous deux quitté le bâtiment depuis longtemps sans demander leur reste, et elle déboula comme une furie dans le petit local de surveillance où tous les enregistrements des caméras étaient stockés.
Ses doigts pianotèrent sur les touches de l’ordinateur, et pendant le court laps de temps où elle cherchait les enregistrements qui l’intéressaient, elle tenta de comprendre ce qu’il s’était passé. Haniel et Lilith avaient sans doute tué Adriel pour le faire taire et pouvoir faire échapper la jeune femme. Une part d’elle contemplait avec horreur le visage de son meilleur ami, et ne pouvait que constater les dégâts qu’avait provoqués le pouvoir dévastateur de Lilith. Ses oreilles, son nez, sa bouche, même ses yeux dégoulinaient de sang. Elle avait du lui faire exploser la cervelle, quelque chose dans ce genre là. Sans aucune pitié, sans chercher d’autre solution … Cette fille était décidemment bien le monstre que certains soupçonnaient.
Opale écarquilla les yeux quand les vidéos s’affichèrent sur son écran. La salle de détention, avec Adriel … L’image n’était pas très bonne, mais elle suffisait largement. On voyait Lilith, qui semblait comme folle. Adriel, qui levait les bras vers elle, tout aussi affolé qu’elle. Le cœur d’Opale se serra en le voyant encore vivant, si vulnérable, alors qu’une partie d’elle tenait son cadavre. Mais en quelques secondes, tout était fini. Il s’était effondré sur le sol, et Lilith semblait encore plus paniquée. Elle tambourinait contre la porte, fermée de l’extérieur … Qui s’ouvrait brusquement. Mais pas sur Haniel. Une jeune femme aux cheveux blonds se tenait devant Lilith, un revolver pointé sur elle. Une seconde d’hésitation, un regard vers le corps d’Adriel … Et elle avait fait feu. Lilith s’était effondrée à son tour, à côté de celui qu’elle venait de tuer. Robin avait reculé et était sortie de la salle sans même vérifier que les deux jeunes gens étaient bien morts, et puis plus rien. Les minutes défilaient en accéléré, mais rien, rien … Puis la porte de la salle de détention s’était à nouveau ouverte, sur Haniel cette fois. Il s’était agenouillé, et comme Opale l’avait fait avec Adriel, il avait serré Lilith contre lui. Quelques secondes plus tard, il s’était relevé et avait emporté le corps de la jeune fille avec lui.
Opale laissa retomber ses doigts sur le clavier, inertes. Un instant plus tard, sa silhouette se mettait à vibrer doucement pour finalement disparaître. Dans la salle de détention, Opale étouffa un sanglot.




« Opale ? T’es déjà là ? Je croyais que tu commençais à huit … Oh. »
Opale ne prit même pas la peine de se tourner vers Silver. Les yeux fixés à ses écrans, elle continuait de cliquer sans relâche.
« Ca fait combien de temps que t’as pas quitté cet ordi pour dormir ? »
Silver continuait à essayer de lui faire la conversation. Tous les matins, inlassablement, il venait lui parler. Et tous les matins, elle l’ignorait consciencieusement. Elle n’avait pas besoin de lui pour savoir que le manque de sommeil était mauvais pour sa santé, mais elle n’avait pas non plus besoin d’un baby-sitter. Pourquoi ce brutal regain d’intérêt ? Elle avait mis des mois à le faire sortir de son mutisme, elle avait fait des efforts incroyables pour qu’il lui adresse la parole, et maintenant qu’elle voulait qu’il lui fiche la paix, c’était lui qui s’incrustait. Quelle ironie.
« T’es devenue complètement folle avec cette histoire. Tu cours après une morte, je te rappelle. »
Les doigts d’Opale se figèrent à quelques millimètres de son clavier, et elle se retourne brusquement vers le jeune homme.
« Si Lilith était morte, j’aurais son cadavre entre les bras. Et ce n’est visiblement pas le cas. » Lâcha-t-elle d’une voix cassante avant de retourner sans autre forme de procès à ses écrans.

Un mois. Un mois qu’Adriel était mort. Un mois qu’Opale ne dormait plus, passant ses jours et ses nuits à rechercher la responsable de cet horrible meurtre. Convaincue que la jeune femme n’était pas morte et qu’Haniel la cachait quelque part, elle s’était juré qu’elle les retrouverait tous les deux, quoi qu’il lui en coûte. Elle utilisait de plus en plus souvent ses pouvoirs, accueillant avec bien plus de facilité qu’auparavant la violence de son alter-ego. Mais la douleur d’avoir perdu Adriel creusait un trou béant dans sa poitrine, et elle s’y enfonçait un peu plus chaque jour sans arriver à s’en sortir. Elle voulait retrouver Lilith et la mettre à mort de ses propres mains, mais ensuite ? Elle avait l’impression que la mort de son meilleur ami avait bouché tous ses horizons. Et quoi qu’on lui en dise, elle n’arrivait pas à imaginer que son monde puisse continuer de cette façon …