« Save the last dance for me. | Midnight & Samaël

La musique s’arrêta, et les corps tendus se relâchèrent d’un coup. La pression qui régnait jusqu’alors dans la pièce sembla s’évanouir avec la musique, et tous les danseurs se mirent à parler entre eux, échangeant sans doute impressions et critiques. Une seule des ballerines ne s’était pas mise à papoter avec ses camarades. Sans un mot, elle s’était dirigée vers sa serviette et sa bouteille d’eau, et ne se retourna que quand le chorégraphe la rappela pour commenter un de ses enchaînements. Derrière la vitre du studio, Samaël la regarda encore quelques secondes, observant sa démarche gracieuse et ses mouvements mesurés, puis se détourna et se dirigea vers la loge de la jeune danseuse.
Quelques minutes plus tard, la danseuse le rejoignait. Elle leva les yeux vers lui et ne sembla pas surprise de le trouver adossé au mur, à moitié caché par la pénombre de la pièce. Il ne s’annonçait jamais, et il ne l’attendait jamais à la sortie de ses entraînements. Pourtant, il la regardait danser, certains jours pendant plusieurs heures. Mais jamais jusqu’à ce qu’elle sorte, jusqu’à ce que tout le monde constate que l’homme du couloir connaissait la ballerine. Ces derniers temps, il se faisait prudent. Mais pas assez, néanmoins, pour revoir à la baisse ses visites à l’Opéra. Une fâcheuse habitude, à ses yeux, qui n’avait pas vraiment de justification qui tienne la route. Et pourtant, il continuait …

« C'est ici que tu as commis ton premier meurtre, Midnight ? »
Il y avait des habitudes dont il ne pouvait pas se défaire. Il avait été Hunter pendant cinq ans, cinq longues années où il avait traqué les meurtriers, en devenant un quand les circonstances le voulaient. Il savait peu de choses de la ballerine, bien peu de choses au vu de tout ce qu’ils partageaient. Et une des premières choses qu’il ait appris d’elle, c’était qu’elle était une tueuse. Et qu’elle avait tué dans cet Opéra. Connaissant vaguement les circonstances du meurtre, il se doutait du lieu … Il ne s’était jamais défait de sa méfiance envers elle, et même si c’était la curiosité qui l’avait poussé à poser cette question, il restait derrière une autre interrogation en forme de mise en garde. Il venait la voir bien trop régulièrement, mais elle ne devait pas oublier qui il était, ni ce qu’il savait d’elle.

Tandis que ses mains jouaient avec la délicate boîte à musique, il la regarda s’effacer derrière le paravent. Il fut distrait un instant par la mélodie raffinée qui s’échappa de la petite boîte, entre ses mains, et esquissa un sourire. Ses doigts effleurèrent la minuscule danseuse qui tournait lentement sur sa scène de porcelaine, et il releva la tête pour contempler sa véritable ballerine qui se dévoilait en ombres chinoises derrière son abri.
« As-tu peur de moi, Samaël...? »
Le sourire de l’ancien Hunter s’élargit en une moue narquoise. Elle n’était pas dupe, tout comme il ne se laissait pas endormir par ses cajoleries et ses paroles douces. Elle réapparut dans son champ de vision et s’avança vers lui de son pas dansant. Elle était absolument magnifique, mais d’une beauté mortelle. Malgré son visage enfantin et ses sourires doux, ses yeux brillaient d’une résolution sans faille, et il savait à quel point elle pouvait dissimuler ses véritables intentions sous son apparence fragile. Pourtant il la laissait jouer avec lui comme il jouait avec elle, profitant de la flamme qu’elle apportait comme un enfant, redoutant le moment où il se brûlerait véritablement.
« A ton avis, je devrais ? »
Elle s’assit à côté de lui et posa sa main sur sa joue. Il ferma les yeux un instant et réprima un frisson. Elle était glacée, comme souvent. Il posa la sienne par-dessus, mais c’est le seul geste qu’il fit pour l’encourager, attendant qu’elle s’avance d’elle-même, ce qu’elle fit sans tarder. Elle se pencha vers lui, allant jusqu’à poser sa joue contre la sienne, caressant le creux de son cou de son souffle fruité. A nouveau, il dut réprimer un frisson, mais ce n’était plus le froid qui le faisait réagir, à présent.
« C'est aussi ici que j'ai failli commettre mon troisième meurtre... T'en rappelles-tu ? »
Il inclina un peu la tête, laissant ses lèvres effleurer la joue de la jeune fille.
« Difficile d’oublier un jour pareil … » Souffla-t-il.

FLASHBACK

Il avait payé sa place, bien trop chère pour l’argent qui lui restait. Mais malgré son compte en banque gelé, il n’avait pas hésité un instant, et il avait franchi les grandes portes du Royal Opéra de Londres. Durant toute la représentation, il n’avait eu d’yeux que pour elle. Il n’avait jamais vraiment aimé la danse, et c’était la première fois qu’il assistait à une représentation. Au fil du spectacle, il avait du reconnaître que la danseuse étoile le fascinait. Pas seulement parce qu’il était venu la voir, non. Mais elle avait une présence peu commune, qui éclipsait tous les autres danseurs. Pour la première fois de sa vie, Samaël avait apprécié un spectacle de danse, même s’il aurait été incapable de citer le nom de la représentation ou celui du chorégraphe.
Quand les danseurs s’étaient figés, que la musique s’était arrêtée et que le public avait explosé en un tonnerre d’applaudissement, Samaël s’était levé et dirigé vers les coulisses. Ayant été appelé sur les lieux quand la prise d’otage avait eue lieu, deux ans plus tôt, il reconnaissait encore assez les parages pour pouvoir se diriger sans problème vers son but. Il était entré dans la loge de la danseuse étoile sans un bruit, et attendit …

« Bonsoir, Harlow. Cinq ans sans me voir... Vous ai-je manqué ? »
Il n’avait pas eu à attendre longtemps : elle ne s’était pas changée et s’était dirigée droit vers sa loge, comme si elle avait deviné qu’il l’attendrait ici. Sur le coup, il n’avait pas compris comment elle avait su qu’il serait là, et il ne s’était pas attendu à ce qu’elle se souvienne de son nom. Mais ce n’étaient que des détails.
La félicité dans laquelle le spectacle l’avait plongé s’était envolée. Planté au milieu de la pièce, il était sur ses gardes et près à réagir au moindre mouvement suspect qu’elle pouvait faire. Il avait lu des rapports sur elle, il savait de quoi elle était capable. Et après tout … Elle avait toutes les raisons du monde de lui en vouloir. Mais il espérait pouvoir s’expliquer avant qu’elle ne tente de le tuer. Il avait besoin d’elle, un besoin urgent et impérieux, qui nécessitait que les anciennes rancœurs soient mises de côté.
« Bonsoir, Midnight. Cinq ans, effectivement … Vu les circonstances de notre dernière rencontre, je ne peux pas dire que tu m’ais manquée. Et je ne t’ai sans doute pas manqué non plus, je me trompe ? » Avait-il lâché d’une voix égale.
Il avait hésité et faillit la féliciter pour son spectacle … Mais vu le regard qu’elle lui lançait, il avait laissé tombé toute tentative de discussion aimable pour jouer cartes sur table. Il ne devait pas oublier qu’elle le détestait … Ce qui était difficile à négliger, au vu de ses regards noirs. Il s’attendait presque à ce qu’elle se jette sur lui d’un instant à l’autre, et il restait extrêmement concentré. Il ne tenait pas à mourir ce soir, et rassemblait tous ses reflexes de Hunters – de ex-Hunter – pour parer à une attaque éventuelle.

FIN DU FLASHBACK

Elle était si proche de lui qu’il pouvait entendre son cœur battre dans sa poitrine. Et à ce qu’il pouvait en juger, il battait aussi vite que le sien … Un son terriblement attirant, sur lequel il pouvait se laisser complètement aller et perdre tout le contrôle qu’il avait sur lui. Combien de fois avait-il du se retenir pour ne pas laisser tomber toute prudence, et s’abandonner complètement à la luxure dans lequel elle semblait l’attirer irrésistiblement ? Garder en tête qu’elle n’attendait peut-être que ça pour lui faire exploser le cœur … Il devait se focaliser sur cette idée, et pas sur la douceur de sa peau sous ses doigts ou l’odeur de son souffle sur son cou.
« Samaël, j'ai si froid... »
A peine un murmure qu’elle avait soufflé dans un frisson, avant de passer son autre main dans sa nuque. Lentement, il enlaça sa taille gracile et la serra contre lui. Sa peau était glacée, mais son contact déclencha des frissons de plaisir dans tout son être. Il posa ses lèvres dans le creux du cou de la jeune fille. Une nouvelle fois, il laissait de côté toutes ses pensées parasites, Ange et Robin, Haniel et Lilith, ne gardant plus que le bien-être immédiat. Et la vague mise en garde qu’il ne devait pas aller trop loin, malgré tout ce qu’il pouvait désirer d’elle …

« Tout dépend de ce que tu crains... Crains-tu pour ta vie ? Crains-tu pour ton cœur déjà blessé ? Que crains-tu, Samaël...? »

Quelle bonne question … Que craignait-il, au juste ? Il ne savait plus trop. Le regard posé sur leurs doigts entrelacés, Samaël tentait de définir une réponse claire aux questions de Midnight. Sa vie n’avait plus autant d’importance à ses yeux qu’elle en avait eue quelques mois plus tôt, et il ne savait pas s’il craignait vraiment de mourir. Il jouait si souvent avec le feu, ces derniers temps … Des idées stupides qui lui venaient à l’esprit et qu’il mettait si longtemps à refouler. Il avait été tenté de laisser Arès le tuer, à Rio, comme il avait été tenté de laisser Sena mettre fin à ses jours. La seule chose qui le retenait au dernier moment, c’était de savoir que Robin était toujours vivante. Il devait la tuer, et il cueillerait ensuite la mort avec une certaine tranquillité. Craignait-il pour son cœur ? Il aurait été tenté de répondre par la négative. Il ne ressentait plus rien depuis la trahison de Robin, Midnight était loin du compte en disant qu’il était blessé. Non, c’était pire que ça. Son cœur avait été détruit, et il pensait ne plus être capable de ressentir quoi que ce soit après ça. La plupart du temps, c’était la vérité : il ne ressentait rien. Seulement les émotions destructrices qui le tenaient encore debout, comme la haine et l’envie de vengeance. Mais il y avait des moments comme celui qu’ils étaient en train de vivre, où son cœur se mettait à battre un peu plus vite, où ses mains retrouvaient leur chaleur. Avait-il peur qu’elle lui donne de faux espoirs, qu’elle ranime sa flamme puis la souffle en riant ? C’était sans doute ça, la seule chose qu’il craignait …
Il esquissa un sourire et reporta son regard sur le visage de la jeune fille.

« Non, tu ne me fais définitivement pas peur … »

Il ne laisserait plus ses sentiments prendre le pas sur lui, comme il ne la laisserait pas jouer avec lui. Tant qu’il menait la danse, il acceptait le danger qu’elle pouvait représenter. Mais il ne voulait pas que les choses aillent plus loin, ni prendre le risque de se retrouver brisé une nouvelle fois. Midnight était un jeu, seulement un jeu. Elle ne faisait pas partie de sa réalité.

FLASHBACK

« Oh non, vous vous trompez. Vous m'avez réellement manqué. J'ai pensé à vous chaque jour pendant ces cinq années. J'ai pensé à comment je pourrais réparer votre erreur, puisque vous êtes incapable de le faire vous-même à présent, comment j'allais vous faire souffrir, pour peut-être vous donner la chance de mourir...J'ai pensé à vous plus que vous ne le pensez. »

La voix de la jeune danseuse était légère, comme si elle lui parlait du spectacle qu’il venait de regarder. Mais son sourire était crispé, et ses yeux brûlaient de haine. Un regard vers ses doigts confirma à Samaël ce qu’il craignait : elle allait faire usage de son pouvoir sur lui. Des gouttes de sang coulaient le long de sa main fine, et il savait ce que cela voulait dire. Il ne l’avait jamais vue à l’œuvre, et il ne connaissait personne qui en soit ressorti vivant, mais il avait constaté les blessures qu’elle avait infligées à son coéquipier avant de le tuer … Et il ne tenait vraiment pas à finir comme ça. Il était venu pour lui parler, pour tenter de la convaincre de l’aider, pas pour se faire tailler en pièces.
Lentement, il glissa sa main droite à l’intérieur de sa poche, et posa ses doigts sur le H33 qui ne le quittait plus.

« Je suis venu réparer mon erreur, Midnight. Je suis désolé de ce que j’ai pu te faire par le passé. S’il te plaît, je veux seulement que tu m’écoutes. »

Il n’aimait pas la voix qu’il avait prit pour lui parler. Elle n’était pas une bête sauvage à calmer, ni une des Witches qu’il chassait quand il était encore Hunter. Mais le filet de sang qui coulait de la main de la jeune fille ne cessait de s’épaissir, et il sentait la nervosité monter au fur et à mesure. Ses doigts se resserrèrent sur son arme, et il prit une profonde inspiration.

« Avez-vous seulement une idée de ce que vous avez causé à ma famille... »

Samaël ouvrit la bouche pour lui répondre, mais aucun son ne sortit : en un éclair, un ruban sanglant s’était jeté sur lui et l’avait projeté contre le mur, avant de s’enrouler autour de son épaule, mordant sa chair comme s’il était vivant. Le jeune homme poussa un cri de souffrance en sentant le lien se resserrer sur son bras, et écarquilla les yeux, paniqué. Son bras était totalement immobilisé et la souffrance ne cessait de s’accentuer … Il ne pouvait plus atteindre son arme. Il leva sa main libre vers la jeune fille et envoya un éclair sur elle, à peine assez fort pour l’électriser, seulement pour la faire reculer. Même pris en étau par un ruban mortel, il ne pouvait se permettre de la blesser. Il espérait seulement que cela serait suffisant pour lui faire relâcher son emprise sur le lien de sang …

« Je sais parfaitement ce que j’ai fait à ta famille ! J’ai vécu la même chose ! » Il serra les dents et ferma les yeux une seconde, submergé par la douleur. « Je peux t’aider à … A libérer ta mère. » Lâcha-t-il finalement.

FIN DU FLASHBACK

A présent, ses doigts n’étaient plus les armes de destruction qu’il avait connues. Ils couraient sur sa peau, aussi légers que des caresses, envoyant des frissons de plaisir dans tous son corps. Il ferma les yeux et la laissa jouer avec sa chemise, déboutonnant lentement ses boutons puis passer ses mains sous le fin tissu. Il se raidit une seconde en la sentant effleurer les cicatrices qu’elle lui avait infligé, quelques mois plus tôt, puis se détendit à nouveau et ouvrit les yeux quand elle posa ses lèvres dessus. Mais dans un soupir, elle se redressa et se recula.

« Il faut que je te montre quelque chose. »

Il pencha la tête sur le côté, un peu intrigué, mais elle fila derrière son paravent, une nouvelle fois. Il s’enfonça dans le canapé, observant son ombre se découper derrière le papier où elle s’était cachée. Sa silhouette était parfaite, désirable … Mais également interdite. Céder à cette dernière tentation, cela signifiait renier ses principes, et ses précautions si durement bâties.
Un soupir exaspéré le tira de ses pensées, et il se rendit compte qu’elle s’échinait vainement à tenter de défaire sa robe. Il se leva avec un petit rire amusé et la rejoignit derrière le paravent. Il se plaça derrière elle et ses mains caressèrent son dos, défaisant prestement le ruban qui résistait tant à la jeune fille. Il le laissa tomber lentement, et se pencha pour embrasser sa peau nue. D’une main, il fit glisser sa robe sur le sol, et l’enlaça tendrement. Il enfouit son visage dans le creux de son cou, inspirant son odeur si enivrante. Sa main caressa son ventre, puis remonta jusqu’à sa poitrine, tandis qu’il embrassa sa nuque. Il ferma les yeux, savourant la douceur de sa peau sous la sienne … Puis recula, laissant s’échapper la jeune danseuse.

« Tu voulais me montrer quelque chose ? » Demanda-t-il d’une voix rauque.

Même si sa gorge était serrée par le désir, même son cœur s’était emballé, même si ses mains tremblaient de ne plus sentir sa peau … Elle était le danger, et il devait s’en méfier. Ne pas céder à la tentation, aux douces promesses que son corps tout entier lui susurrait. Il tenta d’invoquer le visage d’Ange, mais ses souvenirs semblaient embrumés par la présence de Midnight. Il recula de quelques pas et se plaça de l’autre côté du paravent, avant de respirer profondément.